Comment créer de l'angoisse par le cadrage ?
Nous allons observer le rôle des différents plans dans une séquence extraite d'un film d'Alfred Hitchcock, intitulé La mort aux trousses
(1959).
Ce cinéaste est considéré comme un maître du SUSPENSE, c'est-à-dire qu'il crée une angoisse chez le spectateur, en l'informant d'une menace qui plane sur un personnage, alors que le personnage, lui, l'ignore.
1/ Le PLAN D'ENSEMBLE:
Nous savons que le héros (joué par l'acteur Cary Grant) est tombé dans un piège.
Le plan d'ensemble nous donne des indices de la menace: l'endroit est désert, DONC il n'y a pas de témoins, l'endroit idéal pour un assassinat. De plus, le personnage apparaît minuscule dans l'image (au centre), il semble ainsi plus faible, plus VULNÉRABLE.
2/ La CAMÉRA SUBJECTIVE
Le héros apparaît d'abord en plan moyen (de la tête aux pieds), perdu dans l'immensité du désert...
Puis dans le plan suivant, le paysage apparaît en plan d'ensemble, vu à la hauteur des yeux d'un homme. Pourquoi ?
- Par ce procédé, Hitchcock nous montre ce que voit le héros, c'est comme si nous voyons par ses yeux. Ainsi, Le spectateur est davantage impliqué dans l'action: NOUS SOMMES A LA PLACE DU HÉROS. Tout ce qui va arriver au héros, nous le subirons aussi, en esprit. Au cinéma, ce procédé s'appelle la caméra subjective.
3/ L'étrange FACE à FACE.
Une voiture passe et un homme descend, le cadrage le montre qui fait face au héros. Ce cadrage est caractéristique des scènes de DUEL, le moment le plus dramatique des westerns américains. L'inconnu porte un chapeau - évoquant un cow boy- et ses mains sont appuyées sur ses hanches -comme s'il allait saisir un revolver. Mais nous ne sommes pas dans un western !
Hitchcock s'amuse avec les conventions du cinéma.
Seul le spectateur sait que le héros est dans un piège, et seul le cadrage (façon duel) nous suggère que c'est une scène d'affontement. Résultat: le spectateur a peur, mais pas le héros, qui ne se doute de rien.
4/ CAMÉRA SUBJECTIVE DYNAMIQUE
Nous voyons à nouveau par les yeux du héros, mais cette fois-ci, la caméra est en mouvement: elle se rapproche de l'inconnu au chapeau.
En alternance, nous voyons le héros qui se met en marche. Cela signifie qu'il se rapproche de l'inconnu. NOUS MARCHONS AVEC LE HÉROS.
Le suspense augmente.
Que va-t-il se passer ? L'inconnu va-t-il dégainer une arme et tirer sur le héros ?
5/ LE FAUX DIALOGUE.
L'inconnu n'est qu'un passant qui attend le bus. Il n'est pas une menace. On entend un avion au loin. L'inconnu prononce une phrase intrigante: "c'est étrange, l'avion saupoudre là où il n'y a pas de récoltes".
Mais le héros n'y fait pas attention. Pourquoi ?
Parce qu'il ne sait pas qu'il est en danger -seul le spectateur sait que c'est un piège- donc il ne se sent pas concerné par cet indice bizarre.
CETTE PHRASE S'ADRESSE DONC DIRECTEMENT AU SPECTATEUR.
Hitchcock s'amuse avec les nerfs de son public: c'est le ressort du SUSPENSE: nous savons qu'il y a un danger, mais pas le héros.
6/ LA MENACE QUI PLANE.
L'avion se rapproche du héros et lui tire dessus. Notre héros se met à courir.
La caméra recule, face au héros, pendant que celui-ci avance. Dans l'angle gauche nous apercevons la menace qui se rapproche: l'avion mitrailleur.
La caméra est à la même hauteur que le héros, et elle se déplace à son rythme.
C'est un TRAVELLING ACCOMPAGNÉ: nous ne voyons plus par les yeux du héros, mais NOUS COURONS AVEC LUI.
Cette séquence est un tour de maître, car elle montre que l'on peut raconter une histoire, et faire ressentir des émotions fortes au spectateur, uniquement par les jeux de cadrages, et quasiment sans paroles
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